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Page:Emile Littre - Etudes et glanures - Didier, 1880.djvu/337

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avec l’immixtion des Germains dans le monde romain. En Angleterre, les Normands importèrent le français et en firent la langue de la cour, des hautes classes et des principales affaires. Il se créa, en conséquence, entre les vainqueurs et les vaincus, un jargon qu’on nomma anglo-normand, et qui, en son genre, ne vaut pas beaucoup mieux que le latin des Mérovingiens. Pourtant il y eut en Angleterre cette circonstance atténuante que les conquérants étaient, en somme, supérieurs aux conquis, tandis que, chez les Gallo-Romains, les conquis étaient supérieurs aux conquérants. Mais, en définitive, un certain mal dont témoignait la barbarie de l’anglo-normand, s’opérait dans le pays ; plusieurs siècles se passèrent, avant que l’anglais, organe de l’esprit anglais, prît naissance, consistance et fécondité.

Quand les études et la culture se relevèrent un peu sous les Carlovingiens, on écrivit mieux en latin et l’on délaissa le style incorrect et grossier qui avait suffi sous les Mérovingiens. Mais cela ne fit pas que le latin reprît sa place dans l’usage ; il servit aux actes officiels, aux documents législatifs, aux conciles, aux écrits d’histoire et de théologie ; mais Charlemagne et les siens continuèrent à user de leur langue germanique. Pour nous il semblerait que le latin mérovingien eût disparu.
Il n’en était rien pourtant. Non seulement il ne disparut pas, mais encore il se développa énergiquement en un sens déterminé, qui devait aboutir à un nouvel idiome, le français. L’opération fut longue ; une fois complétée, elle permit à l’esprit français de faire son entrée dans le monde. Auparavant, comment aurait-il pu se manifester entre des chefs qui parlaient allemand, et des prêtres et des lettrés qui écrivaient en latin ?
Le langage est une fonction qu’on peut comparer aux fonctions physiologiques, et, en cette qualité, il a ses organes qui sont les gens qui le parlent. Les hommes, même les plus incultes, ont un instinct vague, mais réel, des formes et des règles de leur parler. Cet instinct est plus assuré chez les femmes que chez les hommes, dans les campagnes que dans les villes. C’est par cette vertu intime que le latin, aux temps mérovingiens, étêté par la foudre, ébranlé par l’orage, brûlé par la gelée, donna naissance à un rejeton qui ne lui fit pas déshonneur, et vit, comme l’arbre de Virgile, un nouveau feuillage et des fruits qu’il ne semblait pas destiné à porter.


Cette étude sur la déclinaison latine en Gaule à l’époque mérovingienne est en effet une étude sur les origines de la langue française. L’ancien français présente une particularité remarquable : il a une