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Page:Emile Zola, Mes haines - Mon salon - Edouard Manet, Ed. Charpentier, 1893.djvu/105

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au cinquième acte d’une féerie, lorsque l’apothéose resplendit aux lueurs des feux de Bengale. Du noir et du blanc, par plaques ; un monde de carton, sinistre, il est vrai, et animé par d’effrayantes hallucinations.

L’effet est terrible, les yeux sont charmés ou terrifiés, l’imagination est conquise ; mais n’approchez pas trop de la gravure, ne l’étudiez pas, car vous verriez, alors qu’il n’y a que du relief et de l’étrangeté, que tout n’est qu’ombres et reflets. Ces hommes ne peuvent vivre, parce qu’ils n’ont ni os ni muscles ; ces paysages et ces cieux n’existent pas, parce que le sommeil seul a ces horizons bizarres peuplés de figures fantastiques, ces pays merveilleux dont les arbres et les rocs ont une majestueuse ampleur ou une raideur sinistre. La folle du logis est maîtresse ; elle est la bonne muse qui, de sa baguette, crée les terres que l’artiste rêve en face des poëmes.

S’il me fallait conclure, — ce dont Dieu me garde, — je supplierais Gustave Doré d’avoir pitié de son étrange talent, de ses facultés merveilleuses. Qu’il ne les surmène pas, qu’il prenne son temps et travaille ses sujets. Il est certainement un des artistes les plus singulièrement doués de notre époque ; il pourrait en être un des plus vivants, s’il voulait reprendre des forces dans l’étude de la nature vraie et puissante, autrement grande que tous ses songes. S’il est tellement en dehors de la vie qu’il se sente mal à l’aise en face des vérités, qu’il s’en tienne à son monde menteur, et je l’admirerai comme une personnalité curieuse et particulière. Mais s’il pense lui-même que