Page:Emile Zola, Mes haines - Mon salon - Edouard Manet, Ed. Charpentier, 1893.djvu/117

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tion de bien des détails qui nous avaient échappé jusqu’à ce jour. On comprend maintenant avec quel intérêt j’ai dû lire l’œuvre ; je m’y suis plu, parce que, au delà des mots, je voyais l’homme agir et parler, se dresser devant moi dans sa vérité ; chaque vers était un aveu, chaque pièce venait me dire que le poète, mis en face de la nature, s’était comporté comme je m’y attendais. J’ai joui profondément de la petite joie d’avoir eu raison et de la grande joie de pénétrer les secrets rouages d’une machine, toute de bronze et d’or, dont j’ai admiré le labeur colossal avec les extases d’un homme du métier.

Il y a des gens, — je ne puis m’empêcher d’y revenir avant de terminer, — il y a des gens à qui le titre avait fait rêver une œuvre tout autre. Ils croyaient trouver, dans le recueil, les cris des rues, les refrains populaires, puis les chansons des champs, les naïvetés de la campagne. Ils se plaisaient à penser que le poète allait les faire vivre en pleine forêt, simplement, avec les bouvreuils et les aubépines ; ils seraient ensuite rentrés avec lui dans la ville, ils auraient marché sur les larges trottoirs, regardant la fumée des cheminées et écoutant les bruits sourds des égouts. Ils s’attendaient, en un mot, à une harmonie exquise, faite des rires de la forêt et des sanglots de la ville, à des chants joyeux et tristes, joyeux comme une aurore dans les jeunes feuillages, tristes comme les brouillards qui se traînent dans les carrefours obscurs. Le poète les a trompés, le poète est resté lui-même, énorme, géant, ne voyant que son rêve, cueillant les