Page:Emile Zola, Mes haines - Mon salon - Edouard Manet, Ed. Charpentier, 1893.djvu/123

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Telle est l’histoire de l’humanité. Le couple n’a jamais marché que découplé. La femme a été vendue, la femme a été emprisonnée, la femme a été mise en commun, comme l’eau des citernes. L’homme a d’abord volé sa compagne ; puis l’honnêteté lui venant, il a consenti à l’acheter ; il en a acheté une, il en a acheté deux, trois, quatre, et, comme c’était là une marchandise coûteuse, il a mis la marchandise en magasin, sous de triples verroux. Dans d’autres pays, il y a eu accord entre les hommes ; ils ont pris la mesure économique de ne pas acheter de femmes, mais d’avoir un fonds commun, une sorte de grenier d’abondance sur lequel vivait la nation. Nous sommes loin, vous le voyez, du couple idéal qui naissait pour vivre libre et égal dans son union.

Nous nous trouvons encore ici en pleine barbarie. La femme n’est qu’une denrée, qu’une nécessité. Les peuples se civilisent et la femme devient un jouet. Toutefois, l’homme ne l’achète plus, et dès lors elle a une existence personnelle. C’est en Grèce qu’elle est affranchie ; l’Olympe, avec sa Vénus, sa Junon, toutes ses déesses humaines, donne à la terre la beauté et l’amour, la puissance et la volonté de l’épouse. Mais qu’on ne s’y trompe pas, il y a ici poésie et belles manières, rien de plus ; au fond, l’épouse n’est toujours qu’un objet de première nécessité, l’amante n’est qu’un objet de plaisir et de luxe. Il y eut cependant, à Sparte, une tentative de délivrance ; la femme fut faite homme, ce qui tua l’amour et fit naître la débauche.