Page:Emile Zola, Mes haines - Mon salon - Edouard Manet, Ed. Charpentier, 1893.djvu/170

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placable est impossible au théâtre et qu’on ne saurait y jouer le drame de la vie dans sa réalité. Je le déclare, avant tout, je suis a priori pour le penseur, le novateur ; mon instinct me pousse à applaudir les esprits avides de franchise.

La question me semble admirablement posée, et je ne sais si l’on en voit bien les conséquences. Il s’agit nettement de savoir ce que deviendra notre théâtre, si l’on pourra appliquer à la scène cet amour d’analyse et de psychologie qui nous donne en ce moment une génération nouvelle de romanciers. L’homme pratique, l’auteur qui connaît son public, M. Dumas fils, déclare que l’entreprise est insensée et que tout drame vrai, n’obéissant pas à certaines conventions, sera sifflé impitoyablement. L’homme théorique, au contraire, l’auteur dramatique d’occasion qui ignore l’art de mentir à propos, M. de Girardin, croit que la vérité subjuguera la foule, la serrera si fortement à la gorge, qu’elle étouffera les sifflets dans les pleurs. Moi, je pense que M. Dumas fils a malheureusement raison : mais j’admire M. de Girardin et je me plais à espérer par instants que sa tentative réussira.

M. Dumas fils, aujourd’hui, est dans le succès et l’habitude. Les sens d’un homme comme lui, qui a vécu dans ce monde de carton que l’on appelle le théâtre, doivent forcément être émoussés ; il n’a plus conscience de la convention, ou, du moins, il lui obéit sans révolte. Malgré toute la force âpre de quelques-unes de ses œuvres, il a le respect du public, il le connaît et n’ose pas trop lui déplaire. C’est donc,