Page:Emile Zola, Mes haines - Mon salon - Edouard Manet, Ed. Charpentier, 1893.djvu/280

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C’est pourtant cette bévue que vient de commettre le jury. Pourquoi ? Je vous l’expliquerai.

Vous imaginez-vous cette guerre civile entre artistes, se proscrivant les uns les autres ; les puissants d’aujourd’hui mettraient à la porte les puissants d’hier ; ce serait un tohu-bohu effroyable d’ambitions et de haines, une sorte de petite Rome au temps de Sylla et de Marius. Et nous, bon public, qui avons droit aux œuvres de tous les artistes, nous n’aurions jamais que les œuvres de la faction triomphante. Ô vérité, ô justice !

Jamais l’Académie ne s’est déjugée de la sorte. Elle tenait les gens pendant des années à la porte, mais elle ne les chassait pas de nouveau après les avoir fait entrer.

Dieu me préserve de rappeler trop fort l’Académie. Le mal est préférable au pire, voilà tout.

Je ne veux pas même choisir des juges et désigner certains artistes comme devant être des jurés impartiaux. MM. Manet et Brigot refuseraient sans doute MM. Breton et Brion, de même que ceux-ci ont refusé ceux-là. L’homme a ses sympathies et ses antipathies, qu’il ne peut vaincre. Or, il s’agit ici de vérité et de justice.

Qu’on crée donc un jury, il n’importe lequel. Plus il commettra d’erreurs et plus il manquera sa sauce, plus je rirai. Croyez-vous que ces hommes ne me donnent pas un spectacle réjouissant ? Ils défendent leur petite chapelle avec mille finesses de sacristains qui m’amusent énormément. Mais qu’on rétablisse