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Page:Emile Zola, Mes haines - Mon salon - Edouard Manet, Ed. Charpentier, 1893.djvu/325

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Hélas ! l’histoire est la même pour M. Théodore Rousseau, peut-être même est-elle plus triste encore.

En sortant du Salon, j’ai voulu retourner voir le paysage que l’artiste a au Musée du Luxembourg. Vous rappelez-vous cet arbre puissamment tordu, se détachant en noir sur le rouge sombre d’un coucher de soleil ? Il y a des vaches dans l’herbe. L’œuvre est profonde et tourmentée. Ce n’est peut-être pas là une nature bien vraie, mais ce sont des arbres, des vaches et des cieux interprétés par un esprit vigoureux qui nous a communiqué en un langage étrange les sensations poignantes que la campagne faisait naître en lui.

Et je me suis demandé comment M. Théodore Rousseau pouvait en être arrivé au travail de patience dans lequel il se complaît aujourd’hui. Voyez ses paysages du Salon. Les feuilles et les cailloux sont comptés, les tableaux paraissent peints avec de petits bâtons qui auraient collé la couleur goutte à goutte sur la toile. L’interprétation n’a plus aucune largeur. Tout devient forcément petit. Le tempérament disparaît devant cette lente minutie ; l’œil du peintre ne saisit pas l’horizon dans sa largeur, et la main ne peut rendre l’impression reçue et traduite par le tempérament. C’est pourquoi je ne sens rien de vivant dans cette peinture ; lorsque je demande à M. Théodore Rousseau de saisir en sa main, comme il l’a fait jadis, un morceau de la campagne, il s’amuse à émietter la campagne et à me la présenter en poussière.