Page:Emile Zola, Mes haines - Mon salon - Edouard Manet, Ed. Charpentier, 1893.djvu/332

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un défaut ou par une qualité. Je crois qu’une œuvre de maître est un tout qui se tient, une expression d’un cœur et d’une chair. Vous ne pouvez rien changer ; vous ne pouvez que constater, étudier une face du génie humain, une expression humaine.

Mon éloge de M. Manet a tout gâté. On prétend que je suis le prêtre d’une nouvelle religion. De quelle religion, je vous prie ? De celle qui a pour dieux tous les talents indépendants et personnels ? Oui, je suis de la religion des libres manifestations de l’homme ; oui, je ne m’embarrasse pas des mille restrictions de la critique, et je vais droit à la vie et à la vérité ; oui, je donnerais mille œuvres habiles et médiocres, pour une œuvre, même mauvaise, dans laquelle je croirais reconnaître un accent nouveau et puissant.

J’ai défendu M. Manet, comme je défendrai dans ma vie toute individualité franche qui sera attaquée. Je serai toujours du parti des vaincus. Il y a une lutte évidente entre les tempéraments indomptables et la foule. Je suis pour les tempéraments, et j’attaque la foule.

Ainsi mon procès est jugé, et je suis condamné.

J’ai commis l’énormité de ne pas admirer M. Dubuffe après avoir admiré Courbet, l’énormité d’obéir à une logique implacable.

J’ai eu la naïveté coupable de ne pouvoir avaler sans écœurement les fadeurs de l’époque, et d’exiger de la puissance et de l’originalité dans une œuvre.

J’ai blasphémé en affirmant que toute l’histoire artistique est là pour prouver que les tempéraments