Page:Emile Zola, Mes haines - Mon salon - Edouard Manet, Ed. Charpentier, 1893.djvu/350

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de reproduire par les arts les objets et les êtres. J’ai ainsi un vaste spectacle dont chaque partie m’intéresse et m’émeut profondément. Chaque grand artiste est venu nous donner une traduction nouvelle et personnelle de la nature. La réalité est ici l’élément fixe, et les divers tempéraments sont les éléments créateurs qui ont donné aux œuvres des caractères différents. C’est dans ces caractères différents, dans ces aspects toujours nouveaux, que consiste pour moi l’intérêt puissamment humain des œuvres d’art. Je voudrais que les toiles de tous les peintres du monde fussent réunies dans une immense salle, où nous pourrions aller lire page par page l’épopée de la création humaine. Et le thème serait toujours la même nature, la même réalité, et les variations seraient les façons particulières et originales, à l’aide desquelles les artistes auraient rendu la grande création de Dieu. C’est au milieu de cette immense salle que la foule doit se placer pour juger sainement les œuvres d’art ; le beau n’est plus ici une chose absolue, une commune mesure ridicule ; le beau devient la vie humaine elle-même, l’élément humain se mêlant à l’élément fixe de la réalité et mettant au jour une création qui appartient à l’humanité. C’est dans nous que vit la beauté, et non en dehors de nous. Que m’importe une abstraction philosophique ! que m’importe une perfection rêvée par un petit groupe d’hommes ! Ce qui m’intéresse, moi homme, c’est l’humanité, ma grande mère, ce qui me touche, ce qui me ravit, dans les créations humaines, dans les œuvres d’art, c’est de retrouver au