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Page:Emile Zola, Mes haines - Mon salon - Edouard Manet, Ed. Charpentier, 1893.djvu/367

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un Christ, et j’avoue que cela peut être ; pour moi, c’est un cadavre peint en pleine lumière, avec franchise et vigueur ; et même j’aime les anges du fond, ces enfants aux grandes ailes bleues qui ont une étrangeté si douce et si élégante.

En 1865, Édouard Manet est encore reçu au Salon ; il expose un Jésus insulté par les soldats, et son chef-d’œuvre, son Olympia. J’ai dit chef-d’œuvre, et je ne retire pas le mot. Je prétends que cette toile est véritablement la chair et le sang du peintre. Elle le contient tout entier et ne contient que lui. Elle restera comme l’œuvre caractéristique de son talent, comme la marque la plus haute de sa puissance. J’ai lu en elle la personnalité d’Édouard Manet, et lorsque j’ai analysé le tempérament de l’artiste, j’avais uniquement devant les yeux cette toile qui renferme toutes les autres. Nous avons ici, comme disent les amuseurs publics, une gravure d’Épinal. Olympia, couchée sur des linges blancs, fait une grande tache pâle sur le fond noir ; dans ce fond noir se trouvent la tête de la négresse qui apporte un bouquet et ce fameux chat qui a tant égayé le public. Au premier regard, on ne distingue ainsi que deux teintes dans le tableau, deux teintes violentes, s’enlevant l’une sur l’autre. D’ailleurs, les détails ont disparu. Regardez la tête de la jeune fille : les lèvres sont deux minces lignes roses, les yeux se réduisent à quelques traits noirs. Voyez maintenant le bouquet, et de près, je vous prie : des plaques roses, des plaques bleues, des plaques vertes. Tout se simplifie, et si vous voulez reconstruire la