Page:Emile Zola, Mes haines - Mon salon - Edouard Manet, Ed. Charpentier, 1893.djvu/38

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colère ne serait pas si grande, s’il pouvait nous écraser et faire place nette pour réaliser son rêve humanitaire. Nous le gênons de toute la puissance que nous avons sur la chair et sur l’âme. On nous aime, nous emplissons les cœurs, nous tenons l’humanité par toutes ses facultés aimantes, par ses souvenirs et par ses espérances. Aussi comme il nous hait, comme son orgueil de philosophe et de penseur s’irrite en voyant la foule se détourner de lui et tomber à nos genoux ! Il l’appelle, il nous abaisse, il nous classe, il nous met au bas bout du banquet socialiste. Asseyons-nous, mes amis, et troublons le banquet. Nous n’avons qu’à parler, nous n’avons qu’à prendre le pinceau, et voilà que nos œuvres sont si douces que l’humanité se met à pleurer, et oublie le droit et la justice pour n’être plus que chair et cœur.

Si vous me demandez ce que je viens faire en ce monde, moi artiste, je vous répondrai : « Je viens vivre tout haut. »

On comprend maintenant quel doit être le livre de Proudhon. Il examine les différentes périodes de l’histoire de l’art, et son système, qu’il applique avec une brutalité aveugle, lui fait avancer les blasphèmes les plus étranges. Il étudie tour à tour l’art égyptien, l’art grec et romain, l’art chrétien, la Renaissance, l’art contemporain. Toutes ces manifestations de la pensée humaine lui déplaisent ; mais il a une préférence marquée pour les œuvres, les écoles où l’artiste disparaît et se nomme légion. L’art égyptien, cet art hiératique, généralisé, qui se réduit à un type et à