Page:Emile Zola, Mes haines - Mon salon - Edouard Manet, Ed. Charpentier, 1893.djvu/70

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élans généreux, ses chutes profondes, est née directement de nos aspirations ardentes et de nos affaissements soudains. Je l’aime, cette littérature, je la trouve vivante et humaine, parce qu’elle est pleine de sanglots et que je trouve dans l’anarchie qui la trouble une vivante image de notre siècle, qui sera grand parmi les siècles, car il est l’enfantement des fortes sociétés de demain. Je le préfère à ces autres époques de calme et de perfection, d’une maturité complète, qui nous ont donné des œuvres pleines et savoureuses. En nos temps de recherches et de révoltes, d’écroulement et de reconstruction, je sais que l’art est barbare et qu’il ne saurait contenter les délicats ; mais cet art tout personnel et tout libre a d’étranges délices, je vous assure, pour ceux qui se plaisent aux manifestations de l’esprit humain, et qui ne voient dans une œuvre que l’accident d’un homme mis en face du monde. Moi, j’aime notre anarchie, le renversement de nos écoles, parce que j’ai une grande joie à regarder la mêlée des esprits, à assister aux efforts individuels, à étudier un à un tous ces lutteurs, les petits et les grands. Mais on meurt vite dans cet air ; les champs de bataille sont malsains, et les œuvres tuent leurs auteurs. Puisque la maladie vient de ce fait que le corps est diminué au profit des nerfs, puisque si nos œuvres sont telles, si notre esprit s’exalte, c’est uniquement parce que nous laissons s’amollir nos muscles, le remède est dans la guérison, dans la culture intelligente et fortifiante de la chair. Notre cerveau se développe par trop d’exer-