Page:Emile Zola, Mes haines - Mon salon - Edouard Manet, Ed. Charpentier, 1893.djvu/80

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femme, cette créature maudite sera Germinie Lacerteux.

L’histoire de cette fille est simple et peut se lire couramment. Il y a, je le répète, dualité en elle : un être passionné et violent, un être tendre et dévoué. Un combat inévitable s’établit entre ces deux êtres ; la victoire que l’un va remporter sur l’autre dépend uniquement des événements de la vie, du milieu. Mettez Germinie dans une autre position, et elle ne succombera pas ; donnez-lui un mari, des enfants à aimer, et elle sera excellente mère, excellente épouse. Mais si vous ne lui accordez qu’un amant indigne, si vous tuez son enfant, vous frappez dangeureusement sur son cœur, vous la poussez à la folie : l’être tendre et dévoué s’irrite et disparaît, l’être passionné et violent s’exalte et grandit. Tout le livre est dans la lutte entre les besoins du cœur et les besoins du corps, dans la victoire de la débauche sur l’amour. Nous assistons au spectacle navrant d’une déchéance de la nature humaine ; nous avons sous les yeux un certain tempérament, riche en vices et en vertus, et nous étudions quel phénomène va se produire dans le sujet au contact de certains faits, de certains êtres. Ici, je l’ai dit et je ne saurais trop le redire, je me sens l’unique curiosité de l’observateur ; je n’éprouve aucune préoccupation étrangère à la vérité du récit, à la parfaite déduction des sentiments, à l’art vigoureux et vivant qui va me rendre dans sa réalité un des cas de la vie humaine, l’histoire d’une âme perdue au milieu des luttes et des désespoirs de ce monde. Je ne me crois