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AU BONHEUR DES DAMES.

lait ce qu’elle avait souffert elle-même, les premiers mois, dans son rayon.

— Eh bien ! quoi ? dit-elle. Toutes n’en ont pas, de ces crinières !

Et elle retourna à la lingerie, laissant les deux autres gênées. Denise, qui avait entendu, la suivit d’un regard de remerciement, tandis que madame Aurélie lui remettait un cahier de notes de débit à son nom, en disant :

— Allons, demain, vous vous arrangerez mieux… Et, maintenant, tâchez de prendre les habitudes de la maison, attendez votre tour de vente. La journée d’aujourd’hui sera rude, on va pouvoir juger ce dont vous êtes capable.

Cependant, le rayon restait désert, peu de clientes montaient aux confections, à cette heure matinale. Ces demoiselles se ménageaient, droites et lentes, pour se préparer aux fatigues de l’après-midi. Alors, Denise, intimidée par la pensée qu’elles guettaient son début, tailla son crayon, afin d’avoir une contenance ; puis, imitant les autres, elle se l’enfonça dans la poitrine, entre deux boutonnières. Elle s’exhortait au courage, il fallait qu’elle conquît sa place. La veille, on lui avait dit qu’elle entrait au pair, c’est-à-dire sans appointements fixes ; elle aurait uniquement le tant pour cent et la guelte sur les ventes qu’elle ferait. Mais elle espérait bien arriver ainsi à douze cents francs, car elle savait que les bonnes vendeuses allaient jusqu’à deux mille, quand elles prenaient de la peine. Son budget était réglé, cent francs par mois lui permettraient de payer la pension de Pépé et d’entretenir Jean, qui ne touchait pas un sou ; elle-même pourrait acheter quelques vêtements et du linge. Seulement, pour atteindre ce gros chiffre, elle devait se montrer travailleuse et forte, ne pas se chagriner des mauvaises volontés autour