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LES ROUGON-MACQUART.

de guignon, ma parole !… Je viens encore de faire un Rouen, cette tuile ne m’a rien acheté.

Et il désignait du menton une dame qui s’en allait, en jetant des regards dégoûtés sur toutes les étoffes. Ce ne serait pas avec ses mille francs d’appointements qu’il s’engraisserait, s’il ne vendait rien ; d’habitude, il se faisait sept ou huit francs de tant pour cent et de guelte, ce qui lui donnait, avec son fixe, une dizaine de francs par jour, en moyenne. Favier n’arrivait guère qu’à huit ; et voilà que ce sabot lui enlevait les morceaux de la bouche, car il sortait de débiter une nouvelle robe. Un garçon froid qui n’avait jamais su égayer une cliente ! C’était exaspérant.

— Les bonnetons et les bobinards ont l’air de battre monnaie, murmura Favier en parlant des vendeurs de la bonneterie et de la mercerie.

Mais Hutin, qui fouillait le magasin du regard, dit brusquement :

— Connaissez-vous madame Desforges, la bonne amie du patron ?… Tenez ! cette brune à la ganterie, celle à qui Mignot essaye des gants.

Il se tut, puis il reprit tout bas, comme parlant à Mignot, qu’il ne quittait plus des yeux :

— Va, va, mon bonhomme, frotte-lui bien les doigts, pour ce que ça t’avance ! On les connaît, tes conquêtes !

Il y avait, entre lui et le gantier, une rivalité de jolis hommes, qui tous deux affectaient de coqueter avec les clientes. D’ailleurs, ils n’auraient pu, ni l’un ni l’autre, se vanter d’aucune bonne fortune réelle ; Mignot vivait sur la légende d’une femme de commissaire de police tombée amoureuse de lui, tandis que Hutin avait véritablement conquis à son rayon une passementière, lasse de traîner dans les hôtels louches du quartier ; mais ils mentaient, ils laissaient volontiers croire à des aventures