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AU BONHEUR DES DAMES.

deux commis et la demoiselle continuaient leur besogne avec des paroles chuchotées et sifflantes. Pourtant, trois dames se présentèrent, Denise resta seule un instant. Elle baisa Pépé, le cœur gros, à l’idée de leur prochaine séparation. L’enfant, câlin comme un petit chat, cachait sa tête, sans prononcer une parole. Quand madame Baudu et Geneviève revinrent, elles le trouvèrent bien sage, et Denise assura qu’il ne faisait jamais plus de bruit : il restait muet les journées entières, vivant de caresses. Alors, jusqu’au déjeuner, toutes trois parlèrent des enfants, du ménage, de la vie à Paris et en province, par phrases courtes et vagues, en parentes un peu embarrassées de ne pas se connaître. Jean était allé sur le seuil de la boutique et n’en bougeait plus, intéressé par la vie des trottoirs, souriant aux jolies filles qui passaient.

À dix heures, une bonne parut. D’ordinaire, la table était servie pour Baudu, Geneviève et le premier commis. Il y avait une seconde table à onze heures pour madame Baudu, l’autre commis et la demoiselle.

— À la soupe ! cria le drapier, en se tournant vers sa nièce.

Et, comme tous étaient assis déjà dans l’étroite salle à manger, derrière la boutique, il appela le premier commis qui s’attardait.

— Colomban !

Le jeune homme s’excusa, ayant voulu finir de ranger les flanelles. C’était un gros garçon de vingt-cinq ans, lourd et madré. Sa face honnête, à la grande bouche molle, avait des yeux de ruse.

— Que diable ! il y a temps pour tout, disait Baudu, qui, installé carrément, découpait un morceau de veau froid, avec une prudence et une adresse de patron, pesant les minces parts du coup d’œil, à un gramme près.

Il servit tout le monde, coupa même le pain. Denise