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LES ROUGON-MACQUART.

récriait : Oh ! très bien ! ravissant ! tout de suite, ça prenait une tournure. Madame Desforges déclara qu’on ne trouverait pas mieux. Il y eut des saluts, Mouret prit congé, tandis que Vallagnosc, qui avait aperçu aux dentelles madame de Boves et sa fille, se hâta d’aller offrir son bras à la mère. Déjà Marguerite, debout devant une des caisses de l’entresol, appelait les divers achats de madame Marty, qui paya et qui donna l’ordre de porter le paquet dans sa voiture. Madame Desforges avait retrouvé tous ses articles à la caisse 10. Puis, ces dames se rencontrèrent une fois encore dans le salon oriental. Elles partaient, mais ce fut au milieu d’une crise bavarde d’admiration. Madame Guibal elle-même s’exaltait.

— Oh ! délicieux !… On se dirait là-bas !

— N’est-ce pas, un vrai harem ? Et pas cher !

— Les Smyrne, ah ! les Smyrne ! quels tons, quelle finesse !

— Et ce Kurdistan, voyez donc ! un Delacroix !

Lentement, la foule diminuait. Des volées de cloche, à une heure d’intervalle, avaient déjà sonné les deux premières tables du soir ; la troisième allait être servie, et dans les rayons, peu à peu déserts, il ne restait que des clientes attardées, à qui leur rage de dépense faisait oublier l’heure. Du dehors, ne venaient plus que les roulements des derniers fiacres, au milieu de la voix empâtée de Paris, un ronflement d’ogre repu, digérant les toiles et les draps, les soies et les dentelles, dont on le gavait depuis le matin. À l’intérieur, sous le flamboiement des becs de gaz, qui, brûlant dans le crépuscule, avaient éclairé les secousses suprêmes de la vente, c’était comme un champ de bataille encore chaud du massacre des tissus. Les vendeurs, harassés de fatigue, campaient parmi la débâcle de leurs casiers et de leurs comptoirs, que paraissait avoir saccagés le souffle furieux d’un ouragan. On longeait avec peine les galeries du