Page:Emile Zola - Au bonheur des dames.djvu/15

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
15
AU BONHEUR DES DAMES.

— Tiens ! reprit-il, ces deux-là seront mariés au printemps, si la saison d’hiver est bonne.

C’était l’habitude patriarcale de la maison. Le fondateur Aristide Finet, avait donné sa fille Désirée à son premier commis Hauchecorne ; lui, Baudu, débarqué rue de la Michodière avec sept francs dans sa poche, avait épousé la fille du père Hauchecorne, Élisabeth ; et il entendait à son tour céder sa fille Geneviève et la maison à Colomban, dès que les affaires reprendraient. S’il retardait ainsi un mariage décidé depuis trois ans, c’était par un scrupule, un entêtement de probité : il avait reçu la maison prospère, il ne voulait point la passer aux mains d’un gendre, avec une clientèle moindre et des opérations douteuses.

Baudu continua, présenta Colomban qui était de Rambouillet, comme le père de madame Baudu ; même il existait entre eux un cousinage éloigné. Un gros travailleur, qui, depuis dix années, trimait dans la boutique, et qui avait gagné ses grades rondement ! D’ailleurs, il n’était pas le premier venu, il avait pour père ce noceur de Colomban, un vétérinaire connu de tout Seine-et-Oise, un artiste dans sa partie, mais tellement porté sur sa bouche, qu’il mangeait tout.

— Dieu merci ! dit le drapier pour conclure, si le père boit et court la gueuse, le fils a su apprendre ici le prix de l’argent.

Pendant qu’il parlait, Denise examinait Colomban et Geneviève. Ils étaient à table l’un près de l’autre ; mais ils y restaient bien tranquilles, sans une rougeur, sans un sourire. Depuis le jour de son entrée, le jeune homme comptait sur ce mariage. Il avait passé par les différentes étapes, petit commis, vendeur appointé, admis enfin aux confidences et aux plaisirs de la famille, le tout patiemment, menant une vie d’horloge, regardant Geneviève comme une affaire excellente et honnête. La certitude de