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LES ROUGON-MACQUART.

francs de mon fonds et les années à courir du bail, dix-huit mille francs, en tout trente mille… Pas pour cinquante mille ! Je les tiens, je veux les voir lécher la terre devant moi !

— Trente mille francs, c’est beau, reprenait Denise. Vous pourriez aller vous établir plus loin… Et s’ils achetaient la maison ?

Bourras, qui terminait la langue de son dogue, s’absorbait une minute, avec un rire d’enfant vaguement épandu sur sa face neigeuse de Père éternel. Puis, il repartait.

— La maison, pas de danger !… Ils parlaient de l’acheter l’année dernière, ils en donnaient quatre-vingt mille francs, le double de ce qu’elle vaut aujourd’hui. Mais le propriétaire, un ancien fruitier, un gredin comme eux, a voulu les faire chanter. Et, d’ailleurs, ils se méfient de moi, ils savent bien que je céderais encore moins… Non ! non ! j’y suis, j’y reste ! L’empereur, avec tous ses canons, ne m’en délogerait pas.

Denise n’osait plus souffler. Elle continuait de tirer son aiguille, pendant que le vieillard lâchait d’autres phrases entrecoupées, entre deux entailles de son canif : ça commençait à peine, on verrait plus tard des choses extraordinaires, il avait des idées qui balayeraient leur comptoir de parapluies ; et, au fond de son obstination, grondait la révolte du petit fabricant personnel, contre l’envahissement banal des articles de bazar.

Pépé, cependant, finissait par grimper sur les genoux de Bourras. Il tendait, vers la tête de dogue, des mains impatientes.

— Donne, monsieur.

— Tout à l’heure, mon petit, répondait le vieux d’une voix qui devenait tendre. Il n’a pas d’yeux, il faut lui faire des yeux, maintenant.

Et, tout en fignolant un œil, il s’adressait de nouveau à Denise.