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AU BONHEUR DES DAMES.

voir ça. Depuis un an, la dame tirait de ce dernier l’argent et le plaisir qu’elle pouvait, n’écrivant jamais, lui donnant rendez-vous dans des lieux publics, les églises, les musées, les magasins, pour s’entendre.

— Je crois qu’à chaque rendez-vous ils changent de chambre d’hôtel, murmurait le jeune homme. L’autre mois, il était en tournée d’inspection, il écrivait à sa femme tous les deux jours, de Blois, de Libourne, de Tarbes ; et je suis pourtant convaincu de l’avoir vu entrer dans une pension bourgeoise des Batignolles… Mais, regarde-le donc ! est-il beau, devant elle, avec sa correction de fonctionnaire ! La vieille France ! mon ami, la vieille France !

— Et ton mariage ? demanda Mouret.

Paul, sans quitter le comte des yeux, répondit qu’on attendait toujours la mort de la tante. Puis, l’air triomphant :

— Hein ? tu as vu ? il s’est baissé, il lui a glissé une adresse. La voilà qui accepte, de sa mine la plus vertueuse : une terrible femme, cette rousse délicate, aux allures insouciantes… Eh bien ! il se passe de jolies choses chez toi !

— Oh ! dit Mouret en souriant, ces dames ne sont point ici chez moi, elles sont chez elles.

Ensuite, il plaisanta. L’amour, comme les hirondelles, portait bonheur aux maisons. Sans doute, il les connaissait, les filles qui battaient les comptoirs, les dames qui, par hasard, y rencontraient un ami ; mais si elles n’achetaient pas, elles faisaient nombre, elles chauffaient les magasins. Tout en causant, il emmena son ancien condisciple, il le planta au seuil du salon, en face de la grande galerie centrale, dont les halls successifs se déroulaient à leurs pieds. Derrière eux, le salon gardait son recueillement, ses petits bruits de plumes nerveuses et de journaux froissés. Un vieux monsieur s’était en-