Page:Emile Zola - Au bonheur des dames.djvu/307

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
307
AU BONHEUR DES DAMES.

peuple de coquettes. Est-ce qu’une d’elles, le cerveau et le cœur vides, ne lui apprendrait pas la bêtise et l’inutilité de l’existence ? Justement, ce jour-là, Octave semblait perdre de son bel équilibre ; lui qui, d’habitude, soufflait la fièvre à ses clientes, avec la grâce tranquille d’un opérateur, il était comme pris dans la crise de passion dont peu à peu les magasins brûlaient. Depuis qu’il avait vu Denise et madame Desforges monter le grand escalier, il parlait plus haut, gesticulait sans le vouloir ; et, tout en affectant de ne pas tourner la tête vers elles, il s’animait ainsi davantage, à mesure qu’il les sentait approcher. Son visage se colorait, ses yeux avaient un peu du ravissement éperdu dont vacillaient à la longue les yeux des acheteuses.

— On doit rudement vous voler, murmura Vallagnosc, qui trouvait à la foule des airs criminels.

Mouret avait ouvert les bras tout grands.

— Mon cher, ça dépasse l’imagination.

Et, nerveusement, enchanté d’avoir un sujet, il donnait des détails intarissables, racontait des faits, en tirait un classement. D’abord, il citait les voleuses de profession, celles qui faisaient le moins de mal, car la police les connaissait presque toutes. Puis, venaient les voleuses par manie, une perversion du désir, une névrose nouvelle qu’un aliéniste avait classée, en y constatant le résultat aigu de la tentation exercée par les grands magasins. Enfin, il y avait les femmes enceintes, dont les vols se spécialisaient : ainsi, chez une d’elles, le commissaire de police avait découvert deux cent quarante-huit paires de gants roses, volées dans tous les comptoirs de Paris.

— C’est donc ça que les femmes ont ici des yeux si drôles ! murmurait Vallagnosc. Je les regardais, avec leurs mines gourmandes et honteuses de créatures en folie… Une jolie école d’honnêteté !

— Dame ! répondit Mouret, on a beau les mettre chez