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LES ROUGON-MACQUART.

Marty avait la face animée et nerveuse d’une enfant qui a bu du vin pur. Entrée les yeux clairs, la peau fraîche du froid de la rue, elle s’était lentement brûlé la vue et le teint, au spectacle de ce luxe, de ces couleurs violentes, dont le galop continu irritait sa passion. Lorsqu’elle partit enfin, après avoir dit qu’elle paierait chez elle, terrifiée par le chiffre de sa facture, elle avait les traits tirés, les yeux élargis d’une malade. Il lui fallut se battre pour se dégager de l’écrasement obstiné de la porte ; on s’y tuait, au milieu du massacre des soldes. Puis, sur le trottoir, quand elle eut retrouvé sa fille qu’elle avait perdue, elle frissonna à l’air vif, elle demeura effarée, dans le détraquement de cette névrose des grands bazars.

Le soir, comme Denise revenait de dîner, un garçon l’appela.

— Mademoiselle, on vous demande à la direction.

Elle oubliait l’ordre que Mouret lui avait donné, le matin, de passer à son cabinet, après la vente. Il l’attendait debout. En entrant, elle ne repoussa pas la porte, qui resta ouverte.

— Nous sommes contents de vous, mademoiselle, dit-il, et nous avons songé à vous témoigner notre satisfaction… Vous savez de quelle indigne manière madame Frédéric nous a quittés. Dès demain, vous la remplacerez comme seconde.

Denise l’écoutait, immobile de saisissement. Elle murmura, la voix tremblante :

— Mais, monsieur, il y a des vendeuses beaucoup plus anciennes que moi au rayon.

— Eh bien ? qu’est-ce que cela fait ? reprit-il. Vous êtes la plus capable, la plus sérieuse. Je vous choisis, c’est bien naturel… N’êtes-vous pas satisfaite ?

Alors, elle rougit. C’était, en elle, un bonheur et un embarras délicieux, où son premier effroi se fondait. Pourquoi donc avait-elle songé d’abord aux suppositions