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LES ROUGON-MACQUART.

Bouthemont irait à ses trente mille francs, cette année-là ; Hutin dépasserait dix mille ; Favier estimait son fixe et son tant pour cent à cinq mille cinq cents. Chaque saison, les affaires du comptoir augmentaient, les vendeurs y montaient en grade et y doublaient leurs soldes, comme des officiers en temps de campagne.

— Ah ! çà, est-ce que ce n’est pas fini, ces petites soies ? dit brusquement Bouthemont, l’air agacé. Aussi quel fichu printemps, toujours de l’eau ! On n’a acheté que des soies noires.

Sa grosse figure rieuse se rembrunissait, il regardait le tas s’élargir par terre, tandis que Hutin répétait plus haut, d’une voix sonore, où perçait le triomphe :

— Soie de fantaisie, petits carreaux, vingt-huit mètres, à six francs cinquante !

Il y en avait encore tout un casier. Favier, les bras rompus, y mettait de la lenteur. Comme il donnait pourtant les dernières pièces à Hutin, il reprit à voix basse :

— Dites donc, j’oubliais… Vous a-t-on raconté que la seconde des confections a eu une toquade pour vous ?

Le jeune homme parut très surpris.

— Tiens ! comment ça ?

— Oui, c’est ce grand serin de Deloche qui nous a fait la confidence… Je me souviens, autrefois, quand elle vous reluquait.

Depuis qu’il était second, Hutin avait lâché les chanteuses de café-concert et affichait des institutrices. Très flatté au fond, il répondit d’un air de mépris :

— Je les aime plus étoffées, mon cher, et puis on ne va pas avec tout le monde, comme le patron.

Il s’interrompit, il cria :

— Poult de soie blanc, trente-cinq mètres, à huit francs soixante-quinze !

— Ah ! enfin ! murmura Bouthemont soulagé.

Mais une cloche sonnait, c’était la deuxième table, dont