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LES ROUGON-MACQUART.

une intimité dont il restait surpris et embarrassé, car elle perdait ses prudences de femme du monde, mettant son art à sauver les apparences.

Elle s’écria violemment :

— Il fallait l’amener. J’aurais été sûre.

— Dame ! dit-il avec un rire bon garçon, ce n’est pas ma faute, s’il s’échappe toujours, à présent… Oh ! il m’aime bien quand même. Sans lui, j’aurais du mal là-bas.

En effet, sa situation au Bonheur des Dames était menacée, depuis le dernier inventaire. Il avait eu beau prétexter la saison pluvieuse, on ne lui pardonnait pas le stock considérable des soies de fantaisie ; et, comme Hutin exploitait l’aventure, le minait auprès des chefs avec un redoublement de rage sournoise, il sentait très bien le sol craquer sous lui. Mouret l’avait condamné, ennuyé sans doute maintenant de ce témoin qui le gênait pour rompre, las d’une familiarité sans bénéfices. Mais, selon son habituelle tactique, il poussait Bourdoncle en avant : c’était Bourdoncle et les autres intéressés qui exigeaient le renvoi, à chaque conseil ; tandis que lui résistait, disait-il, défendait son ami énergiquement, au risque des plus gros embarras.

— Enfin, je vais attendre, reprit madame Desforges. Vous savez que cette fille doit être ici à cinq heures… Je veux les mettre en présence. Il faut que j’aie leur secret.

Et elle revint sur ce plan médité, elle répéta, dans sa fièvre, qu’elle avait fait prier madame Aurélie de lui envoyer Denise, pour voir un manteau qui allait mal. Quand elle tiendrait la jeune fille au fond de sa chambre, elle trouverait bien le moyen d’appeler Mouret ; et elle agirait ensuite.

Bouthemont, assis en face d’elle, la regardait de ses beaux yeux rieurs, qu’il tâchait de rendre graves. Ce