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LES ROUGON-MACQART.

— Eh ! vous comprenez très bien. Elles ont toujours le dernier mot… Aussi je pensais : Ce n’est pas possible, il se vante, il n’est pas si fort ! Et vous y voilà ! Tirez donc tout de la femme, exploitez-la comme une mine de houille, pour qu’elle vous exploite ensuite et vous fasse rendre gorge !… Méfiez-vous, car elle vous tirera plus de sang et d’argent que vous ne lui en aurez sucé.

Il riait davantage, et Vallagnosc, près de lui, ricanait, sans dire une parole.

— Mon Dieu ! il faut bien goûter à tout, finit par confesser Mouret, en affectant de s’égayer également. L’argent est bête, si on ne le dépense pas.

— Ça, je vous approuve, reprit le baron. Amusez-vous, mon cher. Ce n’est pas moi qui vous ferai de la morale, ni qui tremblerai pour les gros intérêts que nous vous avons confiés. On doit jeter sa gourme, on a la tête plus libre ensuite… Et puis, il n’est pas désagréable de se ruiner, quand on est homme à rebâtir sa fortune… Mais si l’argent n’est rien, il y a des souffrances…

Il s’arrêta, son rire devint triste, d’anciennes peines passaient dans l’ironie de son scepticisme. Il avait suivi le duel d’Henriette et de Mouret, en curieux que les batailles du cœur passionnaient encore chez les autres ; et il sentait bien que la crise était venue, il devinait le drame, au courant de l’histoire de cette Denise, qu’il avait vue dans l’antichambre.

— Oh ! quant à souffrir, cela n’est pas dans ma spécialité, dit Mouret, d’un ton de bravade. C’est déjà bien joli de payer.

Le baron le regarda quelques secondes en silence. Sans vouloir insister, il ajouta lentement :

— Ne vous faites pas plus mauvais que vous n’êtes… Vous y laisserez autre chose que votre argent. Oui, vous y laisserez de votre chair, mon ami.