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LES ROUGON-MACQUART.

peine si je sors. Ne vous ai-je pas préférée, chez cette dame ? n’ai-je pas rompu pour être à vous seule ? J’attends encore un remerciement, un peu de gratitude… Et, si vous craignez que je retourne chez elle, vous pouvez être tranquille : elle se venge, en aidant un de nos anciens commis à fonder une maison rivale… Dites, faut-il que je me mette à genoux, pour toucher votre cœur ?

Il en était là. Lui qui ne tolérait pas une peccadille à ses vendeuses, qui les jetait sur le pavé au moindre caprice, se trouvait réduit à supplier une d’elles de ne pas partir, de ne pas l’abandonner dans sa misère. Il défendait la porte contre elle, il était prêt à lui pardonner, à s’aveugler, si elle daignait mentir. Et il disait vrai, le dégoût lui venait des filles ramassées dans les coulisses des petits théâtres et dans les restaurants de nuit ; il ne voyait plus Clara, il n’avait pas remis les pieds chez madame Desforges, où Bouthemont régnait maintenant, en attendant l’ouverture des nouveaux magasins : les Quatre Saisons, qui emplissaient déjà les journaux de réclames.

— Dites, dois-je me mettre à genoux, répéta-t-il, la gorge étranglée de larmes contenues.

Elle l’arrêta de la main, ne pouvant plus elle-même cacher son trouble, profondément remuée par cette passion souffrante.

— Vous avez tort de vous faire de la peine, monsieur, répondit-elle enfin. Je vous jure que ces vilaines histoires sont des mensonges… Ce pauvre garçon de tout à l’heure est aussi peu coupable que moi.

Et elle avait sa belle franchise, ses yeux clairs qui regardaient droit devant elle.

— C’est bien, je vous crois, murmura-t-il, je ne renverrai aucun de vos camarades, puisque vous prenez tout ce monde sous votre protection… Mais alors pourquoi me repoussez-vous, si vous n’aimez personne ?