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LES ROUGON-MACQUART.

commençait : toutes mangées par le métier avant quarante ans, disparaissant, tombant à l’inconnu, beaucoup mortes à la peine, phtisiques ou anémiques, de fatigue et de mauvais air, quelques-unes roulées au trottoir, les plus heureuses mariées, enterrées au fond d’une petite boutique de province. Était-ce humain, était-ce juste, cette consommation effroyable de chair que les grands magasins faisaient chaque année ? Et elle plaidait la cause des rouages de la machine, non par des raisons sentimentales, mais par des arguments tirés de l’intérêt même des patrons. Quand on veut une machine solide, on emploie du bon fer ; si le fer casse ou si on le casse, il y a un arrêt du travail, des frais répétés de mise en train, toute une déperdition de force. Parfois, elle s’animait, elle voyait l’immense bazar idéal, le phalanstère du négoce, où chacun aurait sa part exacte des bénéfices, selon ses mérites, avec la certitude du lendemain, assurée à l’aide d’un contrat. Mouret alors s’égayait, malgré sa fièvre. Il l’accusait de socialisme, l’embarrassait en lui montrant des difficultés d’exécution ; car elle parlait dans la simplicité de son âme, et elle s’en remettait bravement à l’avenir, lorsqu’elle s’apercevait d’un trou dangereux, au bout de sa pratique de cœur tendre. Cependant, il était ébranlé, séduit, par cette voix jeune, encore frémissante des maux endurés, si convaincue, lorsqu’elle indiquait des réformes qui devaient consolider la maison ; et il l’écoutait en la plaisantant, le sort des vendeurs était amélioré peu à peu, on remplaçait les renvois en masse par un système de congés accordés aux mortes saisons, enfin on allait créer une caisse de secours mutuels, qui mettrait les employés à l’abri des chômages forcés, et leur assurerait une retraite. C’était l’embryon des vastes sociétés ouvrières du vingtième siècle.

D’ailleurs, Denise ne s’en tenait pas à vouloir panser les plaies vives dont elle avait saigné : des idées délicates