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AU BONHEUR DES DAMES.

débarrassée du tracas des affaires. Et, comme Gaujean se retirait avec la jeune fille, il lui confessa que ce pauvre diable de Robineau avait raison. C’était imbécile de vouloir lutter contre le Bonheur des Dames. Lui, personnellement, se sentait perdu, s’il ne rentrait pas en grâce. Déjà, la veille, il avait fait une démarche secrète auprès de Hutin, qui justement allait partir pour Lyon. Mais il désespérait, et il tâcha d’intéresser Denise, au courant sans doute de sa puissance.

— Ma foi ! répétait-il, tant pis pour la fabrication ! On se moquerait de moi, si je me ruinais en bataillant davantage dans l’intérêt des autres, lorsque les gaillards se disputent à qui fabriquera le moins cher… Mon Dieu ! comme vous le disiez autrefois, la fabrication n’a qu’à suivre le progrès, par une meilleure organisation et des procédés nouveaux. Tout s’arrangera, il suffit que le public soit content.

Denise souriait. Elle répondit :

— Allez donc dire cela à monsieur Mouret lui-même… Votre visite lui fera plaisir, et il n’est pas homme à vous tenir rancune, si vous lui offrez seulement un bénéfice d’un centime par mètre.

Ce fut en janvier que madame Baudu expira, par une claire après-midi de soleil. Depuis quinze jours, elle ne pouvait plus descendre à la boutique, qu’une femme de journée gardait. Elle était assise au milieu de son lit, les reins soutenus par des oreillers. Seuls, dans son visage blanc, les yeux vivaient encore ; et, la tête droite, elle les tournait obstinément vers le Bonheur des Dames, en face, à travers les petits rideaux des fenêtres. Baudu, souffrant lui-même de cette obsession, de la fixité désespérée de ces regards, voulait parfois tirer les grands rideaux. Mais, d’un geste suppliant, elle l’arrêtait, elle s’entêtait à voir, jusqu’à son dernier souffle. Maintenant, le monstre lui avait tout pris, sa maison, sa fille ; elle-