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LES ROUGON-MACQUART.

cheval, que la petite, avec son teint de lait tourné, qui amollissait sa face plate et comme sans os. Clara Prunaire, fille d’un sabotier des bois de Vivet, débauchée par les valets de chambre au château de Mareuil, quand la comtesse la prenait pour les raccommodages, était venue plus tard d’un magasin de Langres, et se vengeait à Paris sur les hommes des coups de pied dont le père Prunaire lui bleuissait les reins. Marguerite Vadon, née à Grenoble où sa famille tenait un commerce de toiles, avait dû être expédiée au Bonheur des Dames, pour y cacher une faute, un enfant fait par hasard ; et elle se conduisait très bien, elle devait retourner là-bas diriger la boutique de ses parents et épouser un cousin, qui l’attendait.

— Ah bien ! reprit à voix basse Clara, en voilà une qui ne pèsera pas lourd ici !

Mais elles se turent, une femme d’environ quarante-cinq ans entrait. C’était madame Aurélie, très forte, sanglée dans sa robe de soie noire, dont le corsage, tendu sur la rondeur massive des épaules et de la gorge, luisait comme une armure. Elle avait, sous des bandeaux sombres, de grands yeux immobiles, la bouche sévère, les joues larges et un peu tombantes ; et, dans sa majesté de première, son visage prenait l’enflure d’un masque empâté de César.

— Mademoiselle Vadon, dit-elle d’une voix irritée, vous n’avez donc pas remis hier à l’atelier le modèle du manteau à taille ?

— Il y avait une retouche à faire, madame, répondit la vendeuse, et c’est madame Frédéric qui l’a gardé.

Alors, la seconde tira le modèle d’une armoire, et l’explication continua. Tout pliait devant madame Aurélie, quand elle croyait avoir à défendre son autorité. Très vaniteuse, au point de ne pas vouloir être appelée de son nom de Lhomme qui la vexait, et de renier la loge