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LES ROUGON-MACQUART.

sespéra ; et, sans la pensée des enfants, elle serait partie pour mettre fin à cet interrogatoire inutile.

— Où étiez-vous, à Valognes ?

— Chez Cornaille.

— Je le connais, bonne maison, laissa échapper Mouret.

Jamais d’habitude, il n’intervenait dans cet embauchage des employés, les chefs de rayon ayant la responsabilité de leur personnel. Mais, avec son sens délicat de la femme, il sentait chez cette jeune fille un charme caché, une force de grâce et de tendresse, ignorée d’elle-même. La bonne renommée de la maison de début était d’un grand poids ; souvent, elle décidait de l’acceptation. Madame Aurélie continua d’une voix plus douce :

— Et pourquoi êtes-vous sortie de chez Cornaille ?

— Des raisons de famille, répondit Denise en rougissant. Nous avons perdu nos parents, j’ai dû suivre mes frères… D’ailleurs, voici un certificat.

Il était excellent. Elle recommençait à espérer, quand une dernière question la gêna.

— Avez-vous d’autres références à Paris ?… Où demeurez-vous ?

— Chez mon oncle, murmura-t-elle, hésitant à le nommer, craignant qu’on ne voulût jamais de la nièce d’un concurrent. Chez mon oncle Baudu, là, en face.

Du coup, Mouret intervint une seconde fois.

— Comment, vous êtes la nièce de Baudu !… Est-ce que c’est Baudu qui vous envoie ?

— Oh ! non, monsieur !

Et elle ne put s’empêcher de rire, tant l’idée lui parut singulière. Ce fut une transfiguration. Elle restait rose, et le sourire, sur sa bouche un peu grande, était comme un épanouissement du visage entier. Ses yeux gris prirent une flamme tendre, ses joues se creusèrent d’adorables fossettes, ses pâles cheveux eux-mêmes semblèrent