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Page:Emile Zola - L’Œuvre.djvu/122

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LES ROUGON-MACQUART.

madame la traitait si doucement, la renvoyant de sa chambre, lui ordonnant de longues promenades, qu’elle était pleine de remords, lorsque, au retour du quai de Bourbon, elle devait mentir, parler du bois de Boulogne, inventer une cérémonie à l’église, où elle ne mettait plus les pieds. Chaque jour, madame semblait éprouver pour elle une tendresse plus grande ; c’étaient sans cesse des cadeaux, une robe de soie, une petite montre ancienne, jusqu’à du linge ; et elle-même aimait beaucoup madame, elle avait pleuré un soir que celle-ci l’appelait sa fille, elle jurait de ne la quitter jamais maintenant, le cœur noyé de pitié, à la voir si vieille et si infirme.

— Bah ! dit Claude un matin, vous serez récompensée, elle vous fera son héritière. 

Christine demeura saisie.

— Oh ! pensez-vous ?… On dit qu’elle a trois millions… Non, non, je n’y ai jamais songé, je ne veux pas, qu’est-ce que je deviendrais ?  

Claude s’était détourné, et il ajouta d’une voix brusque :

— Vous deviendriez riche, parbleu !… D’abord, sans doute, elle vous mariera. 

Mais, à ce mot, elle l’interrompit d’un éclat de rire.

— Avec un de ses vieux amis, le général qui a un menton en argent… Ah ! la bonne folie !  

Tous deux en restaient à une camaraderie de vieilles connaissances. Il était presque aussi neuf qu’elle en toutes choses, n’ayant connu que des filles de hasard, vivant au-dessus du réel, dans des amours romantiques. Cela leur semblait naturel et très simple, à elle comme à lui, de se voir de la sorte en secret, par amitié, sans autre galanterie qu’une poi-