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LES ROUGON-MACQUART.

de cette fille, elle déclara simplement qu’elle avait eu bien peur ; et elle voulut s’en aller tout de suite, tremblant d’entendre frapper encore, emportant au fond de ses yeux inquiets le trouble des choses qu’elle ne disait point.

Longtemps, d’ailleurs, ce milieu d’art brutal, cet atelier empli de tableaux violents, était demeuré pour elle un malaise. Elle ne pouvait s’habituer aux nudités vraies des académies, à la réalité crue des études faites en Provence, blessée, répugnée. Surtout elle n’y comprenait rien, grandie dans la tendresse et l’admiration d’un autre art, ces fines aquarelles de sa mère, ces éventails d’une délicatesse de rêve, où des couples lilas flottaient au milieu de jardins bleuâtres. Souvent encore, elle-même s’amusait à de petits paysages d’écolière, deux ou trois motifs toujours répétés, un lac avec une ruine, un moulin battant l’eau d’une rivière, un chalet et des sapins blancs de neige. Et elle s’étonnait : était-ce possible qu’un garçon intelligent peignît d’une façon si déraisonnable, si laide, si fausse ? car elle ne trouvait pas seulement ces réalités d’une hideur de monstres, elle les jugeait aussi en dehors de toute vérité permise. Enfin, il fallait être fou.

Un jour, Claude voulut absolument voir un petit album, son ancien album de Clermont, dont elle lui avait parlé. Après s’en être longtemps défendu, elle l’apporta, flattée au fond, ayant la vive curiosité de savoir ce qu’il dirait. Lui, le feuilleta en souriant ; et, comme il se taisait, elle murmura la première :

— Vous trouvez ça mauvais, n’est-ce pas ?

— Mais non, répondit-il, c’est innocent. 

Le mot la froissa, malgré le ton bonhomme qui le rendait aimable.