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LES ROUGON-MACQUART.

jamais eus ; et c’était aussi une certitude de progrès, un profond contentement, devant des morceaux réussis, où aboutissaient enfin d’anciens efforts stériles. Comme il le disait à Bennecourt, il tenait son plein air, cette peinture d’une gaieté de tons chantante, qui étonnait les camarades, quand ils le venaient voir. Tous admiraient, convaincus qu’il n’aurait qu’à se produire, pour prendre sa place, très haut, avec des œuvres d’une notation si personnelle, où pour la première fois la nature baignait dans de la vraie lumière, sous le jeu des reflets et la continuelle décomposition des couleurs.

Et, durant trois années, Claude lutta sans faiblir, fouetté par les échecs, n’abandonnant rien de ses idées, marchant droit devant lui, avec la rudesse de la foi.

D’abord, la première année, il alla, pendant les neiges de décembre, se planter quatre heures chaque jour derrière la butte Montmartre, à l’angle d’un terrain vague, d’où il peignait un fond de misère, des masures basses, dominées par des cheminées d’usine ; et, au premier plan, il avait mis dans la neige une fillette et un voyou en loques, qui dévoraient des pommes volées. Son obstination à peindre sur nature compliquait terriblement son travail, l’embarrassait de difficultés presque insurmontables. Pourtant, il termina cette toile dehors, il ne se permit à son atelier qu’un nettoyage. L’œuvre, quand elle fut posée sous la clarté morte du vitrage, l’étonna lui-même par sa brutalité : c’était comme une porte ouverte sur la rue, la neige aveuglait, les deux figures se détachaient, lamentables, d’un gris boueux. Tout de suite, il sentit qu’un pareil tableau ne serait pas reçu ; mais il n’essaya point de l’adoucir, il l’envoya