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Page:Emile Zola - L’Œuvre.djvu/273

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L’ŒUVRE.

raissait grandir, il retombait pourtant à ses doutes d’autrefois, ravagé par la lutte qu’il soutenait contre la nature. Toute toile qui revenait, lui semblait mauvaise, incomplète surtout, ne réalisant pas l’effort tenté. C’était cette impuissance qui l’exaspérait, plus encore que les refus du jury. Sans doute, il ne pardonnait pas à ce dernier : ses œuvres, même embryonnaires, valaient cent fois les médiocrités reçues ; mais quelle souffrance de ne jamais se donner entier, dans le chef-d’œuvre dont il ne pouvait accoucher son génie ! Il y avait toujours des morceaux superbes, il était content de celui-ci, de celui-là, de cet autre. Alors, pourquoi de brusques trous ? pourquoi des parties indignes, inaperçues pendant le travail, tuant le tableau ensuite d’une tare ineffaçable ? Et il se sentait incapable de correction, un mur se dressait à un moment, un obstacle infranchissable, au delà duquel il lui était défendu d’aller. S’il reprenait vingt fois le morceau, vingt fois il aggravait le mal, tout se brouillait et glissait au gâchis. Il s’énervait, ne voyait plus, n’exécutait plus, en arrivait à une véritable paralysie de la volonté. Étaient-ce donc ses yeux, étaient-ce ses mains qui cessaient de lui appartenir, dans le progrès des lésions anciennes, qui l’avait inquiété déjà ? Les crises se multipliaient, il recommençait à vivre des semaines abominables, se dévorant, éternellement secoué de l’incertitude à l’espérance ; et l’unique soutien, pendant ces heures mauvaises, passées à s’acharner sur l’œuvre rebelle, c’était le rêve consolateur de l’œuvre future, celle où il se satisferait enfin, où ses mains se délieraient pour la création. Par un phénomène constant, son besoin de créer allait ainsi plus vite que ses doigts, il ne travaillait jamais à une toile, sans concevoir la toile