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Page:Emile Zola - L’Œuvre.djvu/314

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LES ROUGON-MACQUART.

autre, assise au bord, les jambes dans l’eau, son corsage à demi arraché montrant l’épaule ; la troisième, toute droite, toute nue à la proue, d’une nudité si éclatante, qu’elle rayonnait comme un soleil.

— Tiens ! quelle idée ! murmura Sandoz. Que font-elles là, ces femmes ?

— Mais elles se baignent, répondit tranquillement Claude. Tu vois bien qu’elles sont sorties du bain froid, ça me donne un motif de nu, une trouvaille, hein ?… Est-ce que ça te choque ?  

Son vieil ami, qui le connaissait, trembla de le rejeter dans ses doutes.

— Moi ? oh ! non ! Seulement, j’ai peur que le public ne comprenne pas, cette fois encore. Ce n’est guère vraisemblable, cette femme nue, au beau milieu de Paris. 

Il s’étonna naïvement.

— Ah ! tu crois… Eh bien, tant pis ! Qu’est-ce que ça fiche, si elle est bien peinte, ma bonne femme ? J’ai besoin de ça, vois-tu, pour me monter. 

Les jours suivants, Sandoz revint avec douceur sur cette étrange composition, plaidant, par un besoin de sa nature, la cause de la logique outragée. Comment un peintre moderne, qui se piquait de ne peindre que des réalités, pouvait-il abâtardir une œuvre, en y introduisant des imaginations pareilles ? Il était si aisé de prendre d’autres sujets, où s’imposait la nécessité du nu ! Mais Claude s’entêtait, donnait des explications mauvaises et violentes, car il ne voulait pas avouer la vraie raison, une idée à lui, si peu claire, qu’il n’aurait pu la dire avec netteté, le tourment d’un symbolisme secret, ce vieux regain de romantisme qui lui faisait incarner dans cette nudité la chair même de Paris, la ville nue et