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L’ŒUVRE.

ris goguenard, quand elle passait habillée, cuirassée, serrée jusqu’au menton par des robes sombres, qu’elle portait justement très montantes.

Mais, depuis que Claude avait établi largement, au fusain, la grande figure de femme debout, qui allait tenir le milieu de son tableau, Christine regardait cette vague silhouette, songeuse, envahie d’une pensée obsédante, devant laquelle s’en allaient un à un ses scrupules. Et, quand il parla de prendre un modèle, elle s’offrit.

— Comment, toi ! Mais tu te fâches, dès que je te demande le bout de ton nez !  

Elle souriait, pleine d’embarras.

— Oh ! le bout de mon nez ! Avec ça que je ne t’ai pas posé la figure de ton Plein air, autrefois, et lorsqu’il n’y avait rien eu encore entre nous !… Un modèle va te coûter sept francs par séance. Nous ne sommes pas si riches, autant économiser cet argent. 

Cette idée d’économie le décida tout de suite.

— Je veux bien, c’est même très gentil à toi d’avoir ce courage, car tu sais que ce n’est pas un amusement de fainéante, avec moi… N’importe ! avoue-le donc, grande bête ! tu as peur qu’une autre femme n’entre ici, tu es jalouse. 

Jalouse ! oui, elle l’était, et à en agoniser de souffrance. Mais elle se moquait bien des autres femmes, tous les modèles de Paris pouvaient retirer là leurs jupons ! Elle n’avait qu’une rivale, cette peinture préférée, qui lui volait son amant. Ah ! jeter sa robe, jeter jusqu’au dernier linge, et se donner nue à lui pendant des jours, des semaines, vivre nue sous ses regards, et le reprendre ainsi, et l’emporter, lorsqu’il retomberait dans ses bras ! Avait-elle donc à offrir autre chose qu’elle-même ? N’était-ce pas légi-