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Page:Emile Zola - L’Œuvre.djvu/323

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L’ŒUVRE.

dévotion, lorsque, jadis, aveuglé de désir, il l’écrasait toute contre sa poitrine, sans la voir, dans des étreintes où l’un et l’autre auraient voulu se fondre. Ah ! c’était bien la fin, elle n’était plus, il n’aimait plus en elle que son art, la nature, la vie. Et, les yeux au loin, elle gardait la rigidité d’un marbre, elle retenait les larmes dont se gonflait son cœur, réduite à cette misère de ne pouvoir même pleurer.

Une voix vint de la chambre, tandis que des petits poings tapaient contre la porte.

— Maman, maman, je ne dors pas, je m’ennuie… Ouvre-moi, dis, maman ?  

C’était Jacques qui s’impatientait. Claude se fâcha, grondant qu’on n’avait pas une minute de repos.

— Tout à l’heure ! cria Christine. Dors, laisse ton père travailler. 

Mais une inquiétude nouvelle parut la prendre, elle lançait des coups d’œil vers la porte, elle finit par quitter un instant la pose, pour aller accrocher sa jupe à la clef, de façon à boucher le trou de la serrure. Puis, sans rien dire, elle vint se remettre près du poêle, la tête droite, la taille un peu renversée, enflant les seins.

Et la séance s’éternisa, des heures, des heures se passèrent. Toujours elle était là, à s’offrir, avec son mouvement de baigneuse qui se jette ; pendant que lui, sur son échelle, à des lieues, brûlait pour cette autre femme qu’il peignait. Il avait même cessé de lui parler, elle retombait à son rôle d’objet, beau de couleur. Il ne regardait qu’elle depuis le matin, et elle ne se voyait plus dans ses yeux, étrangère désormais, chassée de lui.

Enfin, il s’interrompit de fatigue, il remarqua qu’elle tremblait.