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LES ROUGON-MACQUART.

époque. Ensuite, un attendrissement douloureux lui était venu de cette faillite du génie, une amère et saignante pitié, devant ce tourment effroyable de l’impuissance. Est-ce qu’on savait jamais, en art, où était le fou ? Tous les ratés le touchaient aux larmes, et plus le tableau ou le livre tombait à l’aberration, à l’effort grotesque et lamentable, plus il frémissait de charité, avec le besoin d’endormir pieusement dans l’extravagance de leurs rêves ces foudroyés de l’œuvre.

Le jour où Sandoz était monté sans trouver le peintre, il ne s’en alla pas, il insista, en voyant les yeux de Christine rougis de larmes.

— Si vous pensez qu’il doive rentrer bientôt, je vais l’attendre.

— Oh ! il ne peut tarder.

— Alors, je reste, à moins que je ne vous dérange.

Jamais elle ne l’avait ému à ce point, avec son affaissement de femme délaissée, ses gestes las, sa parole lente, son insouciance de tout ce qui n’était pas la passion dont elle brûlait. Depuis une semaine peut-être, elle ne rangeait plus une chaise, n’essuyait plus un meuble, laissant s’accomplir la débâcle du ménage, ayant à peine la force de se mouvoir elle-même. Et c’était à serrer le cœur, sous la lumière crue de la grande baie, cette misère culbutant dans la saleté, cette sorte de hangar mal crépi, nu et encombré de désordre, où l’on grelottait de tristesse, malgré le clair après-midi de février.

Christine, pesamment, était allée se rasseoir près d’un lit de fer, que Sandoz n’avait pas remarqué en entrant.

— Tiens ! demanda-t-il, est-ce que Jacques est malade ?