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Page:Emile Zola - L’Œuvre.djvu/346

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LES ROUGON-MACQUART.

s’assit sur le divan, en homme qui désirait la juger sans hâte. Les fonds, les quais, la Seine, d’où montait la pointe triomphale de la Cité, demeuraient à l’état d’ébauche, mais d’ébauche magistrale, comme si le peintre avait eu peur de gâter le Paris de son rêve, en le finissant davantage. À gauche se trouvait aussi un groupe excellent, les débardeurs qui déchargeaient les sacs de plâtre, des morceaux très travaillés ceux-là, d’une belle puissance de facture. Seulement, la barque des femmes, au milieu, trouait le tableau d’un flamboiement de chairs qui n’étaient pas à leur place ; et la grande figure nue surtout, peinte dans la fièvre, avait un éclat, un grandissement d’hallucination d’une fausseté étrange et déconcertante, au milieu des réalités voisines.

Sandoz, silencieux, se désespérait, en face de cet avortement superbe. Mais il rencontra les yeux de Christine fixés sur lui, et il eut la force de murmurer :

— Étonnante, oh ! la femme, étonnante !

D’ailleurs, Claude rentra au même moment. Il eut une exclamation de joie en apercevant son vieil ami, il lui serra vigoureusement la main. Puis, il s’approcha de Christine, baisa le petit Jacques, qui avait de nouveau rejeté la couverture.

— Comment va-t-il ?

— Toujours la même chose.

— Bon ! bon ! il grandit trop, le repos le remettra. Je te disais bien de ne pas t’inquiéter.

Et Claude alla s’asseoir sur le divan, près de Sandoz. Tous deux s’abandonnaient, se renversaient, couchés à demi, les regards en l’air, parcourant le tableau ; tandis que Christine, à côté du lit, ne regardait rien, ne semblait penser à rien, dans la désola-