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L’ŒUVRE.

faire. « Oh ! monsieur Courajod, quel talent ! Si vous saviez l’admiration que nous avons pour vous ! Vous êtes une de nos gloires, vous resterez comme notre père à tous. » Ses lèvres s’étaient remises à trembler, il me regardait de son air d’épouvante stupide, il ne m’aurait pas repoussé d’un geste plus suppliant, si j’avais déterré devant lui quelque cadavre de sa jeunesse ; et il mâchonnait des paroles sans suite, entre ses gencives, un zézaiement de vieillard retombé en enfance, impossible à comprendre : « Sais pas… si loin… trop vieux… m’en fiche bien… » Bref, il m’a flanqué dehors, je l’ai entendu qui tournait sa clef violemment, qui se barricadait avec ses bêtes, contre les tentatives d’admiration de la rue… Ah ! ce grand homme finissant en épicier retiré, ce retour volontaire au néant, avant la mort ! Ah ! la gloire, la gloire pour qui nous mourrons, nous autres !

De plus en plus étouffée, sa voix s’éteignit en un grand soupir douloureux. La nuit continuait à se faire, une nuit dont le flot peu à peu amassé dans les coins montait d’une crue lente, inexorable, submergeant les pieds de la table et des chaises, toute la confusion des choses traînant sur le carreau. Déjà, le bas de la toile se noyait ; et lui, les yeux désespérément fixés, semblait étudier le progrès des ténèbres, comme s’il eût enfin jugé son œuvre, dans cette agonie du jour ; pendant que, au milieu du profond silence, on n’entendait plus que le souffle rauque du petit malade, près de qui apparaissait encore la silhouette noire de la mère, immobile.

Sandoz, alors, parla à son tour, les bras également noués sous la nuque, le dos renversé sur un coussin du divan.