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L’ŒUVRE.

abreuvé d’amertume, traqué par la méchanceté locale, en laissant à sa veuve une situation si compliquée, toute une série de procès si obscurs, que la fortune entière avait coulé dans le désastre ; et la mère, une Bourguignonne, cédant à sa rancune contre les Provençaux, souffrant d’une paralysie lente dont elle les accusait d’être aussi la cause, s’était réfugiée à Paris avec son fils, qui la soutenait maintenant d’un maigre emploi, la cervelle hantée de gloire littéraire. Quant à Dubuche, l’aîné d’une boulangère de Plassans, poussé par celle-ci, très âpre, très ambitieuse, il était venu rejoindre ses amis, plus tard, et il suivait les cours de l’École comme élève architecte, vivant chichement des dernières pièces de cent sous que ses parents plaçaient sur lui, avec une obstination de juifs qui escomptaient l’avenir à trois cents pour cent.

— Sacredié ! murmura Sandoz dans le grand silence, elle n’est pas commode, ta pose ! elle me casse le poignet… Est-ce qu’on peut bouger, hein ?

Claude le laissa s’étirer, sans répondre. Il attaquait le veston de velours, à larges coups de brosse. Puis, se reculant, clignant les yeux, il eut un rire énorme, égayé par un brusque souvenir.

— Dis donc, tu te rappelles, en sixième, le jour où Pouillaud alluma les chandelles dans l’armoire de ce crétin de Lalubie ? Oh ! la terreur de Lalubie, avant de grimper à sa chaire, quand il ouvrit son armoire pour prendre ses livres, et qu’il aperçut cette chapelle ardente !… Cinq cents vers à toute la classe !

Sandoz, gagné par cet accès de gaieté, s’était renversé sur le divan. Il reprit la pose, en disant :  

— Ah ! l’animal de Pouillaud !… Tu sais que, dans sa lettre de ce matin, il m’annonce justement le ma-