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Page:Emile Zola - L’Œuvre.djvu/402

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LES ROUGON-MACQUART.

geoises, de grands artistes, de simples imbéciles, une rencontre de hasard, un mélange dont le louche imprévu allumait les yeux des plus honnêtes.

Cependant, Sandoz, qui avait renoncé à finir sa viande, haussait la voix, au milieu du terrible vacarme des conversations et du service.

— Un morceau de fromage, hein ?… Et tâchons d’avoir du café.

Les yeux vagues, Claude n’entendait pas. Il regardait dans le jardin. De sa place, il voyait le massif central, de grands palmiers qui se détachaient sur les draperies brunes, dont tout le pourtour était orné. Là, s’espaçait un cercle de statues : le dos d’une faunesse, à la croupe enflée ; le joli profil d’une étude de jeune fille, une rondeur de joue, une pointe de petit sein rigide ; la face d’un Gaulois en bronze, une colossale romance, irritante de patriotisme bête ; le ventre laiteux d’une femme pendue par les poignets, quelque Andromède du quartier Pigalle ; et d’autres, d’autres encore, des files d’épaules et de hanches qui suivaient les tournants des allées, des fuites de blancheurs au travers des verdures, des têtes, des gorges, des jambes, des bras, confondus et envolés dans l’éloignement de la perspective. À gauche se perdait une ligne de bustes, la joie des bustes, l’extraordinaire comique d’une enfilade de nez, un prêtre à nez énorme et pointu, une soubrette à petit nez retroussé, une Italienne du quinzième siècle au beau nez classique, un matelot au nez de simple fantaisie, tous les nez, le nez magistrat, le nez industriel, le nez décoré, immobiles et sans fin.

Mais Claude ne voyait rien, ce n’étaient que des taches grises dans le jour brouillé et verdi. Sa stupeur continuait, il eut une seule sensation, le grand