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Page:Emile Zola - L’Œuvre.djvu/416

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LES ROUGON-MACQUART.

des mois. Son deuil avait encore rapproché Sandoz de Claude, dans un dégoût commun des choses. Après le coup terrible du Salon, il s’était inquiété de son vieux camarade, devinant en lui une cassure irréparable, quelque plaie où la vie coulait, invisible. Puis, à le voir si froid, si sage, il avait fini par se rassurer un peu.

Souvent, Sandoz montait rue Tourlaque, et quand il lui arrivait de n’y rencontrer que Christine, il la questionnait, comprenant qu’elle aussi vivait dans l’effroi d’un malheur, dont elle ne parlait jamais. Elle avait la face tourmentée, les tressaillements nerveux d’une mère qui veille son enfant et qui tremble de voir la mort entrer, au moindre bruit.

Un matin de juillet, il lui demanda :

— Eh bien ! vous êtes contente ? Claude est tranquille, il travaille bien.

Elle jeta vers le tableau son regard accoutumé, un regard oblique de terreur et de haine.

— Oui, oui, il travaille… Il veut tout finir, avant de se remettre à la femme…

Et, sans avouer la crainte qui l’obsédait, elle ajouta plus bas :

— Mais ses yeux, avez-vous remarqué ses yeux ?… Il a toujours ses mauvais yeux. Moi, je sais bien qu’il ment, avec son air de ne pas se fâcher… Je vous en prie, venez le prendre, emmenez-le pour le distraire. Il n’a plus que vous, aidez-moi, aidez-moi !

Dès lors, Sandoz inventa des motifs de promenade, arriva dès le matin chez Claude et l’enleva de force au travail. Presque toujours, il fallait l’arracher de son échelle, où il restait assis, même quand il ne peignait pas. Des lassitudes l’arrêtaient, une torpeur qui l’engourdissait pendant de longues minutes, sans