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L’ŒUVRE.

quille, elle attendait chaque soir qu’il s’endormît avant elle. Mais il n’avait pas éteint la bougie, il restait les yeux ouverts, fixés sur cette flamme qui l’aveuglait. À quoi songeait-il donc ? était-il demeuré là-bas, dans la nuit noire, dans cette haleine humide des quais, en face de Paris criblé d’étoiles, comme un ciel d’hiver ? et quel débat intérieur, quelle résolution à prendre convulsait ainsi son visage ? Puis, invinciblement, elle succomba, elle tomba au néant des grandes fatigues.

Une heure plus tard, la sensation d’un vide, l’angoisse d’un malaise, l’éveilla dans un tressaillement brusque. Tout de suite, elle avait tâté de la main la place déjà froide, à côté d’elle : il n’était plus là, elle l’avait bien senti en dormant. Et elle s’effarait, mal réveillée, la tête lourde et bourdonnante, lorsqu’elle aperçut, par la porte entr’ouverte de la chambre, une raie de lumière qui venait de l’atelier. Elle se rassura, elle pensa qu’il y était allé chercher quelque livre, pris d’insomnie. Ensuite, comme il ne reparaissait pas, elle finit par se lever doucement, pour voir. Mais ce qu’elle vit la bouleversa, la planta sur le carreau, pieds nus, dans une telle surprise, qu’elle n’osa d’abord se montrer.

Claude, en manches de chemise malgré la rude température, n’ayant mis dans sa hâte qu’un pantalon et des pantoufles, était debout sur sa grande échelle, devant son tableau. Sa palette se trouvait à ses pieds, et d’une main il tenait la bougie, tandis que de l’autre il peignait. Il avait des yeux élargis de somnambule, des gestes précis et raides, se baissant à chaque instant, pour prendre de la couleur, se relevant, projetant contre le mur une grande ombre fantastique, aux mouvements cassés d’automate.