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LES ROUGON-MACQUART.

— Écoute, mon vieux, reprit Sandoz, ce n’est pas pour te le reprocher, mais il est six heures et demie, et tu nous fais crever de faim… Sois sage, descends avec nous.

Claude nettoyait à l’essence un coin de sa palette. Il y vida de nouveaux tubes, il répondit d’un seul mot, la voix tonnante :

— Non !

Pendant dix minutes, personne ne parla plus, le peintre hors de lui, se battant avec sa toile, les deux autres troublés et chagrins de cette crise, qu’ils ne savaient de quelle façon calmer. Puis, comme on frappait à la porte, ce fut l’architecte qui alla ouvrir.

— Tiens ! le père Malgras !

Le marchand de tableaux était un gros homme, enveloppé dans une vieille redingote verte, très sale, qui lui donnait l’air d’un cocher de fiacre mal tenu, avec ses cheveux blancs coupés en brosse et sa face rouge, plaquée de violet. Il dit, d’une voix de rogomme :

— Je passais par hasard sur le quai, en face… J’ai vu monsieur à la fenêtre, et je suis monté… 

Il s’interrompit, devant le silence du peintre, qui s’était retourné vers sa toile, avec un mouvement d’exaspération. Du reste, il ne se troublait pas, très à l’aise, carrément planté sur ses fortes jambes, examinant de ses yeux tachés de sang le tableau ébauché. Il le jugea sans gêne, d’une phrase où il y avait de l’ironie et de la tendresse.

— En voilà une machine !  

Et, comme personne encore ne soufflait mot, il se promena tranquillement à petits pas dans l’atelier, regardant le long des murs.

Le père Malgras, sous l’épaisse couche de sa