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LES ROUGON-MAQUART.

de plâtre salissait tout un coin ; tandis que, sur les planches de l’ancienne fruiterie restées en place, se débandaient quelques moulages d’antiques, que la poussière amassée lentement semblait ourler de cendre fine. Une humidité de buanderie, une odeur fade de glaise mouillée montait du sol. Et cette misère des ateliers de sculpteur, cette saleté du métier s’accusaient davantage, sous la clarté blafarde des vitres barbouillées de la devanture.

— Tiens ! c’est vous !  cria Mahoudeau, assis devant sa bonne femme, en train de fumer une pipe.

Il était petit, maigre, la figure osseuse, déjà creusée de rides à vingt-sept ans ; ses cheveux de crin noir s’embroussaillaient sur un front très bas ; et, dans ce masque jaune, d’une laideur féroce, s’ouvraient des yeux d’enfant, clairs et vides, qui souriaient avec une puérilité charmante. Fils d’un tailleur de pierres de Plassans, il avait remporté là-bas de grands succès, aux concours du Musée ; puis, il était venu à Paris comme lauréat de la ville, avec la pension de huit cents francs, qu’elle servait pendant quatre années. Mais, à Paris, il avait vécu dépaysé, sans défense, ratant l’École des Beaux-Arts, mangeant sa pension à ne rien faire ; si bien que, au bout des quatre ans, il s’était vu forcé, pour vivre, de se mettre aux gages d’un marchand de bons dieux, où il grattait dix heures par jour des Saint-Joseph, des Saint-Roch, des Madeleine, tout le calendrier des paroisses. Depuis six mois seulement, l’ambition l’avait repris, en retrouvant des camarades de Provence, des gaillards dont il était l’aîné, connus autrefois chez tata Giraud, un pensionnat de mioches, devenus aujourd’hui de farouches révolutionnaires ; et cette ambition tournait au gigantesque, dans cette fréquentation