Page:Emile Zola - L’Œuvre.djvu/86

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
86
LES ROUGON-MAQUART.

Dehors, Claude et Mahoudeau marchèrent les premiers, pendant que les deux autres les suivaient ; et Jory se récria, lorsque Sandoz l’eût plaisanté, en lui affirmant qu’il avait fait la conquête de l’herboriste.

— Ah ! non, elle est affreuse, elle pourrait être notre mère à tous. En voilà une gueule de vieille chienne qui n’a plus de crocs !… Avec ça, elle empoisonne la pharmacie. 

Cette exagération fit rire Sandoz. Il haussa les épaules.

— Laisse donc, tu n’es pas si difficile, tu en prends qui ne valent guère mieux.

— Moi ! où ça ?… Et tu sais que, derrière notre dos, elle a sauté sur Chaîne. Ah ! les cochons, ils doivent s’en payer ensemble !  

Vivement, Mahoudeau, qui semblait enfoncé dans une forte discussion avec Claude, se retourna au milieu d’une phrase, pour dire :

— Ce que je m’en fiche !  

Il acheva sa phrase à son compagnon ; et, dix pas plus loin, il lança de nouveau, par-dessus son épaule :

— Et, d’abord, Chaîne est trop bête !  

On n’en parla plus. Tous quatre, flânant, semblaient tenir la largeur du boulevard des Invalides. C’était l’expansion habituelle, la bande peu à peu accrue des camarades racolés en chemin, la marche libre d’une horde partie en guerre. Ces gaillards, avec la belle carrure de leurs vingt ans, prenaient possession du pavé. Dès qu’ils se trouvaient ensemble, des fanfares sonnaient devant eux, ils empoignaient Paris d’une main et le mettaient tranquillement dans leurs poches. La victoire ne faisait plus un doute, ils promenaient leurs vieilles chaussures et leurs paletots fatigués, dédaigneux de ces misères, n’ayant du reste