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Page:Emile Zola - L’Œuvre.djvu/88

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LES ROUGON-MAQUART.

croyant à une farce, lorsqu’ils les virent brusquement, très bons amis, s’émerveiller ensemble, au sujet d’une nourrice vêtue de clair, avec de longs rubans cerise. Ah ! sacré bon sort, quel ton ! c’est ça qui fichait une note ! Ravis, ils clignaient les yeux, ils suivaient la nourrice sous les quinconces, comme réveillés en sursaut, étonnés d’être déjà là. Cette Esplanade, ouverte de partout sous le ciel, bornée seulement au sud par la perspective lointaine des Invalides, les enchantait, si grande, si calme ; car ils y avaient suffisamment de place pour les gestes ; et ils reprenaient un peu haleine, eux qui déclaraient trop étroit Paris, où l’air manquait à l’ambition de leur poitrine.

— Est-ce que vous allez quelque part ? demanda Sandoz à Mahoudeau et à Jory.

— Non, répondit ce dernier, nous allons avec vous… Où allez-vous ?  

Claude, les regards perdus, murmura :

— Je ne sais pas… Par là. 

Ils tournèrent sur le quai d’Orsay, ils le remontèrent jusqu’au pont de la Concorde. Et, devant le Corps législatif, le peintre reprit, indigné :

— Quel sale monument !

— L’autre jour, dit Jory, Jules Favre a fait un fameux discours… Ce qu’il a embêté Rouher !  

Mais les trois autres ne le laissèrent pas continuer, la querelle recommença. Qui ça, Jules Favre ? qui ça, Rouher ? Est-ce que ça existait ! Des idiots, dont personne ne parlerait plus, dix ans après leur mort ! Ils s’étaient engagés sur le pont, ils haussaient les épaules de pitié. Puis, lorsqu’ils se trouvèrent au milieu de la place de la Concorde, ils se turent.

— Ça, finit par déclarer Claude, ça, ce n’est pas bête du tout.