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LES ROUGON-MAQUART.

— Mais c’est donc chez Baudequin que nous allons ?

Les autres s’étonnèrent. Tiens ! ils allaient chez Baudequin.

— Quel jour sommes-nous ? demanda Claude. Hein ? jeudi… Fagerolles et Gagnière doivent y être alors… Allons chez Baudequin. 

Et ils gravirent la rue d’Amsterdam. Ils venaient de traverser Paris, c’était là une de leurs grandes tournées favorites ; mais ils avaient d’autres itinéraires, d’un bout à l’autre des quais parfois, ou bien un morceau des fortifications, de la porte Saint-Jacques aux Moulineaux, ou encore une pointe sur le Père-La-Chaise, suivie d’un crochet par les boulevards extérieurs. Ils couraient les rues, les places, les carrefours, ils vaguaient des journées entières, tant que leurs jambes pouvaient les porter, comme s’ils avaient voulu conquérir les quartiers les uns après les autres, en jetant leurs théories retentissantes aux façades des maisons ; et le pavé semblait à eux, tout le pavé battu par leurs semelles, ce vieux sol de combat d’où montait une ivresse qui grisait leur lassitude.

Le café Baudequin était situé sur le boulevard des Batignolles, à l’angle de la rue Darcet. Sans qu’on sût pourquoi, la bande l’avait choisi comme lieu de réunion, bien que Gagnière seul habitât le quartier. Elle s’y réunissait régulièrement le dimanche soir ; puis, le jeudi, vers cinq heures, ceux qui étaient libres avaient pris l’habitude d’y paraître un instant. Ce jour-là, par ce beau soleil, les petites tables du dehors, sous la tente, se trouvaient toutes occupées d’un double rang de consommateurs barrant le trottoir. Mais eux, avaient l’horreur de ce coudoiement, de cet étalage en public : et ils bousculèrent le