Page:Emile Zola - L’Argent.djvu/101

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Tout de suite, il se précipita.

— Ah  ! mon cher ami, que devenez-vous  ? Je pensais encore à vous, l’autre jour… Mais n’êtes-vous pas mon voisin. 

Pourtant, il se calma, renonça à cette effusion qu’il gardait pour le troupeau, lorsque Saccard, jugeant les finesses de transition inutiles, aborda immédiatement le but de sa visite. Il dit sa grande affaire, expliqua qu’avant de créer la Banque Universelle, au capital de vingt-cinq millions, il cherchait à former un syndicat d’amis, de banquiers, d’industriels, qui assurerait à l’avance le succès de l’émission, en s’engageant à prendre les quatre cinquièmes de cette émission, soit quarante mille actions au moins. Daigremont était devenu très sérieux, l’écoutait, le regardait, comme s’il l’eût fouillé jusqu’au fond de la cervelle, pour voir quel effort, quel travail utile à lui-même, il pourrait encore tirer de cet homme, qu’il avait connu si actif, si plein de merveilleuses qualités, dans sa fièvre brouillonne. D’abord, il hésita.

— Non, non, je suis accablé, je ne veux rien entreprendre de nouveau. 

Puis, tenté pourtant, il posa des questions, voulut connaître les projets que patronnerait la nouvelle maison de crédit, projets dont son interlocuteur avait la prudence de ne parler qu’avec la plus extrême réserve. Et, lorsqu’il connut la première affaire qu’on lancerait, cette idée de syndiquer toutes les compagnies de transports de la Méditerranée, sous la raison sociale de Compagnie générale des Paquebots réunis, il parut très frappé, il céda tout d’un coup.

— Eh bien, je consens à en être. Seulement, c’est à une condition… Comment êtes-vous avec votre frère le ministre  ?  

Saccard, surpris, eut la franchise de montrer son amertume.

— Avec mon frère… Oh  ! il fait ses affaires, et je fais les miennes. Il n’a pas la corde très fraternelle, mon frère.